Interactions entre inhibiteurs de la pompe à protons et antifongiques : impact sur l'absorption

Florent Delcourt

5 déc. 2025

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Si vous prenez un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) comme l’omeprazole pour votre reflux, et qu’on vous prescrit un antifongique comme l’itraconazole pour une infection fongique grave, vous pourriez ne pas recevoir la dose efficace. Ce n’est pas une erreur de prescription : c’est une interaction pharmacologique bien documentée, et elle peut faire échouer un traitement vital.

Comment les IPP réduisent l’efficacité des antifongiques

Les IPP arrêtent la production d’acide dans l’estomac. Cela semble bon pour l’ulcère ou le reflux, mais pour certains antifongiques, c’est un désastre. Les médicaments comme l’itraconazole, la posaconazole ou le voriconazole sont des bases faibles. Pour être absorbés, ils ont besoin d’un environnement acide - un pH inférieur à 3. Quand vous prenez un IPP, le pH de votre estomac monte à 4-6. Résultat ? Le médicament ne se dissout pas. Il passe dans l’intestin sous forme solide, comme une pilule qui n’a jamais commencé à se dégrader.

Des études montrent que l’omeprazole peut réduire la concentration sanguine de l’itraconazole de 50 à 60 %. Cela signifie que si vous avez une infection pulmonaire par Aspergillus, les niveaux du médicament dans votre sang ne sont plus suffisants pour tuer le champignon. Des cas de traitement échoué ont été rapportés chez des patients transplantés ou immunodéprimés, où chaque jour sans contrôle de l’infection augmente le risque de mort.

Tous les antifongiques ne réagissent pas de la même manière

La mauvaise nouvelle, c’est que plusieurs antifongiques sont concernés. La bonne nouvelle, c’est que tous ne le sont pas. La différence est cruciale.

  • Itraconazole en gélules : Très sensible. Une réduction de 60 % de l’absorption avec un IPP. C’est le pire cas.
  • Itraconazole en solution liquide : Moins affecté. Seulement 10-15 % de baisse. Pourquoi ? Parce que le médicament est déjà dissous, il n’a pas besoin d’acide pour se libérer.
  • Fluconazole : Aucun impact. Il se dissout facilement dans l’eau, peu importe le pH. Vous pouvez le prendre avec un IPP sans problème.
  • Voriconazole : Réduction modérée, environ 22-35 %. À surveiller, mais pas aussi critique que l’itraconazole.
  • Posaconazole en comprimés : Très sensible. 40 % de baisse. Mais en suspension orale, l’impact est moindre - environ 15 %.

La solution liquide d’itraconazole n’est pas toujours disponible, ni remboursée partout. Mais quand elle l’est, c’est souvent la meilleure option si vous devez garder votre IPP.

Les IPP ne sont pas les seuls coupables - mais ils sont les pires

Les antiacides comme Tums ou Maalox peuvent aussi augmenter le pH, mais leur effet est bref. Si vous les prenez 2 heures avant ou après l’antifongique, l’impact est négligeable.

Les antagonistes des récepteurs H2 (comme la famotidine ou le ranitidine) réduisent l’acide, mais moins que les IPP. Une étude montre que la famotidine réduit l’absorption de l’itraconazole de 41 %, contre 57 % pour l’omeprazole. Ce n’est pas parfait, mais c’est mieux. Dans certains cas, les médecins remplacent l’IPP par un H2-antagoniste, surtout si le patient est à risque de saignement gastrique.

Pharmacien remettant une solution liquide d'itraconazole à un patient, avec un fond de pH acide en lumière dorée.

Comment gérer cette interaction en pratique

Il n’y a pas de solution unique. Tout dépend du médicament, de la maladie, et du risque du patient.

  1. Pour l’itraconazole en gélules : Évitez les IPP. Si vous ne pouvez pas les arrêter, passez à la solution liquide.
  2. Pour la posaconazole en comprimés : Prenez-la avec une boisson acide comme du cola. Cela aide à abaisser localement le pH et augmente l’absorption de 35 %.
  3. Si vous devez garder l’IPP : Séparez les prises d’au moins 2 heures. Prenez l’antifongique le matin à jeun, l’IPP plus tard dans la journée.
  4. Surveillance des taux sanguins : Pour les infections graves comme l’aspergillose invasive, mesurez les niveaux d’itraconazole dans le sang. La cible thérapeutique est de 0,5 à 1,0 mcg/mL. Si vous êtes en dessous, c’est un échec potentiel.

Les pharmaciens hospitaliers rapportent qu’ils rencontrent cette interaction en moyenne une fois par mois par service. Et 23 % d’entre eux ont vu des échecs de traitement confirmés. Ce n’est pas rare. C’est systématique.

Une nouvelle voie : quand l’interaction devient un outil

Il y a un paradoxe fascinant. Pendant des années, on a vu les IPP comme des ennemis des antifongiques. Mais en 2025, une étude a montré que l’omeprazole, combiné à une faible dose d’itraconazole, synergise contre des champignons résistants, y compris des souches d’Aspergillus fumigatus insensibles aux azoles.

Des essais cliniques sont en cours aux États-Unis (NCT05678901) pour tester si cette combinaison pourrait devenir un traitement pour les infections fongiques résistantes. Ce n’est pas encore une pratique standard, mais cela change la façon dont on voit cette interaction. Peut-être qu’un jour, on prescrira un IPP avec un antifongique - mais à très faible dose, et dans un contexte très précis.

Canette de cola versant un flux acide dans un estomac pour activer un guerrier antifongique contre des spores sombres.

Les nouveautés qui changent la donne

En 2023, la FDA a approuvé une nouvelle forme d’itraconazole appelée Tolsura. Ce médicament est conçu pour être absorbé indépendamment du pH gastrique. Avec un IPP, sa concentration sanguine chute de seulement 8 % - contre 50 % pour les anciennes gélules. C’est une révolution. Mais elle n’est pas encore disponible partout, et son coût est plus élevé.

Les directives de la Société américaine des maladies infectieuses (IDSA) et de l’American Gastroenterological Association devraient être mises à jour fin 2024. Elles devraient reconnaître cette nouvelle formulation et proposer des options plus nuancées que le simple arrêt des IPP.

Le coût caché de cette interaction

Chaque année, aux États-Unis, les prescriptions inutiles d’IPP avec des antifongiques sensibles coûtent environ 287 millions de dollars. Pourquoi ? Parce que les patients ne guérissent pas. Ils restent à l’hôpital plus longtemps. Ils ont besoin de traitements de secours plus chers. Ils risquent la mort.

Et dans les hôpitaux, 15 % des patients prennent un IPP en permanence. 5 à 7 % reçoivent un antifongique systémique. La surposition est énorme. Beaucoup de ces prescriptions sont automatiques, sans réflexion sur l’interaction.

Un pharmacien qui intervient pour ajuster la prescription gagne du temps - et sauve des vies. Une étude montre que 82 % des équipes médicales suivent les recommandations quand un pharmacien est impliqué. Sans lui, c’est souvent l’erreur qui passe.

Que faire si vous êtes concerné ?

Si vous prenez un IPP et qu’on vous prescrit un antifongique, posez ces questions :

  • Quel est le nom exact de l’antifongique ? (Gélules ? Solution ? Comprimés ?)
  • Est-ce qu’il est sensible au pH ?
  • Puis-je passer à une autre forme du médicament ?
  • Puis-je remplacer l’IPP par un H2-antagoniste ou un antiacide ponctuel ?
  • Faut-il surveiller mes taux sanguins ?

Ne laissez pas la prescription aller de soi. Une interaction comme celle-ci peut sembler technique, mais ses conséquences sont humaines : une infection qui progresse, un traitement qui échoue, une hospitalisation prolongée. Ce n’est pas un détail de pharmacie. C’est une question de survie.

Les IPP rendent-ils tous les antifongiques inefficaces ?

Non. Seuls certains antifongiques sont sensibles au pH gastrique. Le fluconazole n’est pas affecté du tout. L’itraconazole en solution liquide et la posaconazole en suspension sont moins impactés. Seuls les comprimés ou gélules d’itraconazole, de posaconazole et de voriconazole sont fortement concernés. Il faut vérifier la forme exacte du médicament prescrit.

Puis-je prendre mon IPP et mon antifongique à la même heure ?

Pour l’itraconazole en gélules, non. Même en espaçant les prises, l’effet de l’IPP dure 12 à 24 heures. Le meilleur conseil est d’éviter la combinaison. Pour la solution d’itraconazole, espacer de 2 heures peut aider, mais la meilleure solution reste de remplacer l’IPP ou de changer de forme de médicament. Ne comptez pas sur l’espacement seul comme solution fiable.

Pourquoi ne pas arrêter l’IPP si je prends un antifongique ?

Parce que certains patients ont un risque élevé de saignement gastrique - comme les personnes âgées, celles qui prennent de l’aspirine ou des anti-inflammatoires, ou celles en soins intensifs. Arrêter l’IPP pourrait provoquer un ulcère ou une hémorragie. Dans ces cas, on choisit la moindre des deux erreurs : on garde l’IPP, mais on change l’antifongique ou on surveille les taux sanguins.

Le cola peut-il vraiment aider à absorber la posaconazole ?

Oui. Une étude a montré que prendre les comprimés de posaconazole avec du cola augmente leur absorption de 35 % par rapport à de l’eau. Le cola est suffisamment acide pour réduire localement le pH dans l’estomac, même en présence d’un IPP. C’est une astuce simple, peu coûteuse, et validée cliniquement.

Y a-t-il une nouvelle forme d’itraconazole qui ne pose pas ce problème ?

Oui. Tolsura, approuvée en 2023, est une forme de l’itraconazole conçue pour être absorbée sans dépendre de l’acidité gastrique. Avec un IPP, sa concentration sanguine ne chute que de 8 %, contre 50 % pour les anciennes gélules. Ce n’est pas encore disponible partout, mais c’est une avancée majeure pour les patients qui doivent garder leur traitement anti-acide.