Comment fonctionnent les négociations de prix et les remises des assureurs sur les médicaments ?

Florent Delcourt

17 nov. 2025

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Depuis 2022, les prix des médicaments aux États-Unis ont commencé à changer de manière radicale. Pour la première fois depuis la création du programme Medicare Part D en 2003, le gouvernement fédéral peut négocier directement les prix de certains médicaments coûteux. Ce changement, issu de la Loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act), n’est pas une simple réduction de tarif : c’est une réforme structurelle qui transforme la façon dont les assureurs et les patients paient les traitements les plus chers.

Comment les prix des médicaments étaient fixés avant ?

Avant 2022, Medicare ne pouvait pas négocier les prix des médicaments. Au lieu de cela, les compagnies d’assurance privées - comme les plans Part D - négociaient seules des remises avec les fabricants. Ces remises étaient souvent cachées dans des accords complexes, et les patients ne voyaient pas toujours les bénéfices à la caisse. Un médicament comme Eliquis, utilisé pour prévenir les caillots sanguins, coûtait plus de 500 $ le mois en 2021. Les assureurs obtenaient des rabais, mais les patients payaient toujours un pourcentage fixe du prix de liste. Résultat : des coûts élevés pour les personnes âgées, surtout dans la phase du « trou de la donut » où les remboursements s’arrêtent.

La nouvelle règle : Medicare négocie enfin

La Loi sur la réduction de l’inflation a changé la donne. Elle permet à Medicare de désigner jusqu’à 10 médicaments par an pour négociation, à condition qu’ils soient vendus sans générique ni biosimilaire depuis au moins 7 ans (ou 11 ans pour les biologiques). Les premiers médicaments sélectionnés - dont Eliquis, Jardiance et Xarelto - ont été négociés en 2024. Les prix ont été fixés à la fin de l’été 2024, et entreront en vigueur le 1er janvier 2026.

Le processus est strict. Le Centre pour les services Medicare & Medicaid (CMS) envoie une offre initiale au fabricant. Le fabricant a 30 jours pour répondre. Ensuite, il y a jusqu’à trois réunions de négociation. Si aucun accord n’est trouvé, CMS peut imposer un prix final. Les prix négociés doivent être inférieurs à deux seuils : soit le prix moyen net payé par les assureurs, soit un pourcentage du prix de vente moyen hors fédéral (non-FAMP). Résultat ? Des réductions entre 38 % et 79 % pour les 10 premiers médicaments, selon les données du ministère de la Santé.

Comment cela affecte les assureurs privés ?

Les assureurs privés ne négocient pas directement avec le gouvernement, mais ils sont fortement impactés. Lorsque Medicare fixe un « prix maximal équitable », les assureurs privés suivent souvent le même prix pour rester compétitifs. C’est ce qu’on appelle l’effet de « débordement » (spillover effect). Selon une analyse de Stanford Medicine, les assureurs privés pourraient économiser entre 200 et 250 milliards de dollars sur 10 ans simplement en alignant leurs tarifs sur ceux de Medicare.

Cela signifie que vos primes d’assurance santé pourraient baisser à long terme. Votre mutuelle ne paie plus le prix de liste, mais un prix négocié - et elle le transmet à ses clients. Pour les patients, cela se traduit par des factures plus basses, surtout pour les médicaments chroniques comme ceux pour le diabète ou les maladies cardiaques.

Une négociation entre un fonctionnaire et un directeur pharmaceutique, des prix tombent sur une balance magique.

Et pour les patients ? Qui gagne vraiment ?

Les bénéficiaires de Medicare voient déjà des changements concrets. Avant la réforme, ceux qui atteignaient la phase du « trou de la donut » devaient payer jusqu’à 95 % du prix du médicament. Dès 2026, avec les prix négociés, cette facture va fondre. Pour un patient prenant Jardiance, la facture mensuelle pourrait passer de 450 $ à moins de 100 $.

Mais attention : les avantages ne sont pas uniformes. Les patients en phase catastrophique (après avoir payé 8 000 $ par an) bénéficient déjà d’une aide importante. Pour eux, la baisse du prix de liste n’a pas autant d’impact. Les personnes qui prennent plusieurs médicaments coûteux, ou qui n’ont pas d’assurance complète, sont celles qui gagnent le plus.

Les fabricants de médicaments réagissent

Les grandes entreprises pharmaceutiques n’ont pas accepté cela sans résistance. Quatre des dix fabricants des médicaments négociés ont intenté des poursuites, affirmant que la négociation était inconstitutionnelle. En août 2024, un juge fédéral a rejeté ces recours. Mais les appels sont en cours.

Les fabricants affirment que cette réforme réduit leurs revenus de 25 à 45 % pour les médicaments concernés - ce qui, selon eux, nuirait à la recherche. Mais les analyses du Bureau de la gestion et du budget (OMB) contestent ces chiffres, les qualifiant de « fortement exagérés ». Les données montrent que les entreprises continuent à investir massivement dans la R&D, même après la mise en place de la loi.

Quels médicaments sont concernés en 2026 et après ?

La première vague en 2026 concerne 10 médicaments. En 2027, ce sera 15 autres. En 2028, ce sera 15 médicaments administrés en clinique (Part B), comme les traitements contre le cancer ou la sclérose en plaques. À partir de 2029, 20 médicaments par an seront négociés.

Les médicaments sélectionnés ne sont pas choisis au hasard. Ils doivent remplir trois critères : être très coûteux (plus de 1 milliard de dollars de dépenses annuelles pour Medicare), n’avoir aucun générique ou biosimilaire, et être sur le marché depuis assez longtemps. Cela exclut les nouveaux traitements innovants - mais cela crée un effet « seuil » : dès qu’un médicament atteint les 7 ans, il devient vulnérable à la négociation.

Des patients marchent dans une pharmacie, les prix deviennent des cœurs, une lumière protectrice les entoure.

Comment cela va-t-il changer les habitudes des médecins ?

Pour les médicaments administrés en clinique (Part B), les médecins sont payés selon un nouveau système : ils reçoivent le prix négocié + 6 %. Avant, ils étaient payés selon le prix de vente moyen (ASP) + 6 %. Or, le ASP était souvent plus élevé que le prix négocié. Donc, pour certains médicaments, les médecins vont percevoir moins d’argent par injection ou perfusion.

Cela pourrait les pousser à prescrire des alternatives moins chères, ou à réduire la fréquence des traitements. Certains groupes médicaux craignent une perte de revenus de 1,2 milliard de dollars par an. Mais d’autres voient là une opportunité de réduire les traitements inutiles et de mieux aligner les soins sur les besoins réels des patients.

Et en France ou en Europe ?

En France, les prix des médicaments sont fixés par l’État depuis des décennies. L’Assurance Maladie négocie directement avec les laboratoires, et les prix sont rendus publics. Ce modèle est plus direct, mais il ne permet pas toujours d’atteindre les mêmes baisses de prix que celles observées aux États-Unis avec cette nouvelle méthode. La différence ? Aux États-Unis, c’est une négociation ciblée, sur les médicaments les plus chers. En Europe, c’est un contrôle systématique de tous les médicaments.

Le système américain est plus complexe, mais il a un avantage : il cible les médicaments qui coûtent le plus cher à la société. Il ne touche pas les génériques, ni les médicaments récents. C’est une stratégie intelligente : réduire les dépenses là où elles sont les plus lourdes, sans bloquer l’innovation.

Que faut-il retenir pour 2025-2026 ?

- Medicare négocie maintenant les prix de 10 médicaments très chers, avec des réductions de 38 à 79 %. - Ces prix entreront en vigueur le 1er janvier 2026. - Les assureurs privés suivent souvent ces prix, ce qui réduit les coûts pour tous les patients. - Les patients en phase de « trou de la donut » voient les plus grands bénéfices. - Les médecins doivent s’adapter à de nouveaux taux de remboursement pour les médicaments en clinique. - La liste des médicaments négociés va augmenter chaque année, jusqu’à 20 par an à partir de 2029. - Les fabricants ne peuvent plus compter sur des prix élevés indéfiniment pour les médicaments sans concurrence.

Ce n’est pas une révolution immédiate, mais une transformation progressive. Ce qui change aujourd’hui, c’est la certitude : les prix des médicaments ne seront plus dictés uniquement par les laboratoires. Le pouvoir de négociation est désormais dans les mains de la société, via Medicare. Et cela, c’est une avancée majeure pour des millions de patients.

Qui négocie les prix des médicaments sous la Loi sur la réduction de l’inflation ?

C’est le Centre pour les services Medicare & Medicaid (CMS), une agence fédérale américaine. Le CMS envoie une offre initiale aux fabricants, puis mène jusqu’à trois réunions de négociation. Si aucun accord n’est trouvé, il fixe un prix final. Les assureurs privés ne négocient pas directement, mais ils s’ajustent souvent aux prix fixés par Medicare.

Quels médicaments sont concernés par cette négociation ?

Seuls les médicaments sans générique ni biosimilaire, qui coûtent plus d’un milliard de dollars par an à Medicare, et qui sont sur le marché depuis au moins 7 ans (ou 11 ans pour les biologiques), peuvent être négociés. Les premiers concernés en 2026 incluent Eliquis, Jardiance, Xarelto, et Farxiga. Les nouveaux médicaments, comme ceux approuvés en 2024, ne sont pas encore éligibles.

Est-ce que cette réforme va réduire mes primes d’assurance santé ?

À long terme, oui. Les assureurs privés suivent souvent les prix négociés par Medicare pour rester compétitifs. Cela réduit leurs coûts, ce qui peut se traduire par des primes plus basses ou des franchises réduites. Selon Stanford Medicine, les assureurs privés pourraient économiser entre 200 et 250 milliards de dollars sur 10 ans, une partie de ces économies sera transmise aux assurés.

Les patients paieront-ils moins dès 2025 ?

Non. Les prix négociés entreront en vigueur le 1er janvier 2026. Avant cette date, les prix restent inchangés. Si vous prenez l’un des 10 médicaments concernés, vous ne verrez pas de baisse avant 2026. Mais vous pouvez déjà vous préparer : vérifiez si votre traitement est sur la liste des médicaments négociés, et contactez votre assureur pour connaître les changements à venir.

Les fabricants peuvent-ils refuser de négocier ?

Ils peuvent refuser de négocier, mais ils paient une lourde amende : jusqu’à 95 % du montant total des ventes du médicament. C’est un avertissement très fort. Pour éviter cela, tous les fabricants des 10 premiers médicaments ont participé aux négociations. Ceux qui ont refusé - comme les quatre qui ont intenté un procès - ne sont pas exemptés de la loi, et risquent des sanctions financières si leur recours échoue.

Est-ce que cette réforme va freiner l’innovation pharmaceutique ?

Les entreprises pharmaceutiques affirment que oui, mais les données ne le soutiennent pas. Le Bureau de la gestion et du budget a estimé que les projections de pertes d’innovation étaient exagérées. Les entreprises continuent à investir des milliards dans la R&D, et les nouveaux médicaments ne sont pas concernés avant 7 à 11 ans. La réforme cible les médicaments anciens et très rentables, pas les innovations récentes.