Prendre un antifongique pour une mycose des ongles ou une infection systémique peut sembler simple. Mais derrière ce traitement courant se cache un risque silencieux : l’atteinte hépatique. Plus de 1 800 signalements d’atteinte du foie liés au ketoconazole ont été recensés aux États-Unis entre 2004 et 2021. Ce n’est pas un accident isolé. Les antifongiques, même ceux prescrits depuis des décennies, peuvent endommager le foie - parfois de manière grave, voire mortelle.
Quels antifongiques sont les plus dangereux pour le foie ?
Les antifongiques ne sont pas tous égaux en matière de sécurité hépatique. Parmi les plus utilisés, certains présentent un risque bien plus élevé que d’autres.
Le ketoconazole est le pire coupable. L’Agence européenne des médicaments l’a retiré du marché en 2013. Aux États-Unis, la FDA l’a limité aux cas extrêmes où aucun autre traitement n’est possible. Pourquoi ? Parce qu’un patient sur 500 développe une lésion hépatique aiguë, et certains cas ont nécessité une greffe du foie. Des rapports de patients décrivent des taux d’ALT dépassant 1 200 U/L - contre une norme de 7 à 56 U/L - après seulement trois semaines de traitement.
Les azoles comme l’itraconazole et le voriconazole ne sont pas en reste. Selon une analyse de la FDA, ils sont les plus fréquemment associés à des lésions hépatiques parmi tous les antifongiques. Le voriconazole, en particulier, cause des dommages entre la deuxième et la huitième semaine de traitement. Des études montrent que les patients porteurs d’une mutation du gène CYP2C19 ont jusqu’à 3,7 fois plus de risques de développer une hépatotoxicité.
Le fluconazole, lui, est beaucoup plus sûr. Il est souvent choisi pour les infections légères ou chez les patients à risque. Mais attention : même lui peut causer des problèmes si pris plus de deux semaines, surtout chez les personnes âgées ou déjà atteintes de maladie du foie.
Le terbinafine, utilisé pour les mycoses des ongles, a un taux d’atteinte hépatique faible - environ 0,1 % - mais il porte une alerte noire de la FDA pour risque d’insuffisance hépatique. Des patients ont rapporté une jaunisse et une fatigue après cinq semaines de traitement. Le risque augmente après huit semaines, ce qui rend le suivi indispensable.
Les échinocandines comme la micafungine et l’anidulafungine sont souvent considérées comme plus sûres. Mais une étude récente a révélé une surprise : l’anidulafungine est associée au taux de mortalité le plus élevé parmi les cas de lésion hépatique (50 %). Pourquoi ? Parce qu’elle est souvent prescrite aux patients déjà très malades, avec un foie déjà endommagé. Ce n’est pas le médicament en lui-même qui est le plus toxique - c’est le contexte dans lequel il est utilisé.
Comment les interactions médicamenteuses amplifient les risques
Prendre un antifongique avec d’autres médicaments peut devenir une bombe à retardement. La plupart des antifongiques sont métabolisés par le foie via des enzymes appelées CYP450. Quand un autre médicament bloque ou active ces enzymes, le niveau du traitement antifongique peut exploser - ou s’effondrer.
Le ketoconazole, par exemple, est un puissant inhibiteur de CYP3A4. Il augmente la concentration de nombreux médicaments : statines (risque de dégradation musculaire), anticoagulants (risque de saignement), ou même certains antidépresseurs. C’est pourquoi la FDA interdit son association avec d’autres médicaments hépatotoxiques ou avec l’alcool.
Le voriconazole interagit avec les inhibiteurs de la protéase du VIH, les benzodiazépines, et même les antiépileptiques comme la phénytoïne. Un patient sous voriconazole qui prend aussi de la phénytoïne peut voir son taux de voriconazole chuter de 50 % - ce qui rend le traitement inefficace. Inversement, un inhibiteur de CYP2C19 peut faire exploser les taux de voriconazole, augmentant le risque de lésion hépatique.
Le fluconazole, moins puissant, reste un risque avec les anticoagulants oraux (warfarine), les sulfonylurées (pour le diabète), et les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Même un simple analgésique comme le paracétamol peut devenir dangereux si pris en grande quantité pendant un traitement prolongé.
Comment surveiller son foie pendant un traitement
La surveillance du foie n’est pas une formalité - c’est une nécessité vitale. Voici ce que recommandent les spécialistes :
- Avant de commencer : Une prise de sang pour vérifier les enzymes hépatiques (ALT, AST, bilirubine, phosphatase alcaline).
- Pour le ketoconazole, l’itraconazole, le voriconazole : Contrôles hebdomadaires pendant le premier mois, puis toutes les deux semaines. Arrêter si les enzymes dépassent 3 fois la norme avec des symptômes, ou 5 fois sans symptômes.
- Pour le terbinafine : Contrôle à la 4e ou 6e semaine, puis tous les mois si le traitement dépasse 8 semaines.
- Pour le fluconazole : Surveillance seulement si le traitement dure plus de deux semaines ou si vous êtes âgé, diabétique, ou avez déjà un problème de foie.
Les symptômes à ne pas ignorer : fatigue inhabituelle, urine foncée, peau ou yeux jaunes, douleur sous les côtes à droite, nausées persistantes. Ces signes peuvent apparaître avant les résultats de laboratoire. Ne les attendez pas pour agir.
Un problème majeur ? Seulement 37 % des médecins généralistes surveillent correctement les patients sous terbinafine pour une mycose des ongles. Ce traitement est souvent perçu comme « inoffensif » - ce qui est une erreur. Les lésions hépatiques ne se produisent pas seulement dans les hôpitaux. Elles arrivent aussi dans les cabinets de soins primaires.
Qui est le plus à risque ?
Le risque d’atteinte hépatique n’est pas le même pour tout le monde. Certaines personnes sont plus vulnérables :
- Les personnes âgées de plus de 65 ans : Leur foie métabolise moins bien les médicaments. Le risque d’atteinte hépatique est 7 fois plus élevé que chez les jeunes adultes.
- Les patients déjà atteints de maladie du foie : Hépatite, cirrhose, stéatose… tout cela augmente la sensibilité aux médicaments.
- Les personnes immunodéprimées : Cancer, greffe d’organe, VIH… elles ont souvent besoin d’antifongiques puissants, mais leur foie est déjà sous pression.
- Les patients prenant plusieurs médicaments : Plus de 5 médicaments par jour multiplient le risque d’interaction.
- Les personnes avec des mutations génétiques : Comme celles affectant CYP2C19 ou CYP3A4. Un simple test génétique peut maintenant identifier ces risques avant de commencer le traitement.
Les nouvelles orientations et les traitements de demain
Le ketoconazole est en voie de disparition. Son usage a chuté de 92,7 % depuis 2013. Les hôpitaux ont mis en place des programmes de stewardship pour éviter les prescriptions inutiles.
Les nouveaux antifongiques en développement - comme l’olorofim et l’ibrexafungerp - sont conçus avec la sécurité hépatique comme priorité. Dans les essais précoces, ils ont montré 78,3 % moins d’élévation des enzymes hépatiques que les azoles classiques.
La FDA travaille maintenant à intégrer l’intelligence artificielle dans son système de signalement des effets indésirables. L’objectif ? Détecter les signaux d’atteinte hépatique bien avant qu’ils ne deviennent des crises publiques.
Les lignes directrices européennes et américaines sont désormais claires : ne jamais prescrire le ketoconazole en première intention. Éviter les associations dangereuses. Surveiller les enzymes. Adapter le traitement à la personne, pas au protocole.
Que faire si vous êtes sous antifongique ?
Si vous prenez un antifongique, voici ce qu’il faut faire :
- Ne jamais arrêter le traitement sans consulter votre médecin, même si vous vous sentez bien.
- Ne jamais prendre un autre médicament (même en vente libre) sans vérifier les interactions.
- Évitez l’alcool - c’est un poison pour le foie, et il amplifie les effets des antifongiques.
- Conservez vos résultats d’analyses et montrez-les à chaque consultation.
- Si vous ressentez une fatigue soudaine, une jaunisse ou une douleur abdominale, appelez votre médecin immédiatement - ne patientez pas.
Un traitement antifongique peut sauver une vie. Mais il peut aussi la mettre en danger - si on ne le suit pas avec rigueur. La clé n’est pas de les éviter, mais de les utiliser avec conscience, surveillance et respect des limites.
Quels antifongiques sont les plus sûrs pour le foie ?
Le fluconazole est généralement le plus sûr pour le foie, surtout à doses modérées et pour des traitements courts. Les échinocandines comme la micafungine présentent aussi un bon profil de sécurité, surtout chez les patients sans antécédents hépatiques. Le terbinafine a un risque faible (0,1 %) mais nécessite un suivi. Le ketoconazole est à éviter absolument. Les azoles comme l’itraconazole et le voriconazole sont à utiliser avec prudence et surveillance rapprochée.
Faut-il faire des analyses de sang régulières pendant un traitement antifongique ?
Oui, absolument. Pour les antifongiques à haut risque (ketoconazole, itraconazole, voriconazole), des analyses hebdomadaires sont recommandées pendant le premier mois, puis toutes les deux semaines. Pour le terbinafine, un contrôle à la 4e ou 6e semaine est indispensable. Même pour le fluconazole, un test avant la 2e semaine est conseillé si le traitement est prolongé. Ne sous-estimez pas cette étape : les lésions hépatiques peuvent être asymptomatiques au début.
Le terbinafine peut-il causer une insuffisance hépatique ?
Oui, bien que rare. Le terbinafine porte une alerte noire de la FDA pour ce risque. Des cas d’insuffisance hépatique aiguë ont été rapportés, principalement après 6 à 8 semaines de traitement. Les symptômes comme la fatigue, la jaunisse ou l’urine foncée doivent déclencher un arrêt immédiat et une consultation. La plupart des cas sont réversibles si le médicament est arrêté à temps.
Pourquoi le ketoconazole a-t-il été retiré du marché en Europe ?
Le ketoconazole a été retiré en Europe en 2013 par l’Agence européenne des médicaments en raison de son risque élevé de lésions hépatiques graves, voire mortelles. Il est aussi associé à des troubles endocriniens (déficit surrénalien) et à de nombreuses interactions dangereuses. Son utilisation était trop fréquente pour des infections mineures, alors que des alternatives plus sûres existaient. Son profil risque/bénéfice était jugé inacceptable.
Les antifongiques peuvent-ils endommager le foie même à faible dose ?
Oui. Même les doses faibles peuvent causer des lésions chez les personnes sensibles, surtout si elles sont prises sur une longue période ou en association avec d’autres médicaments. Le foie peut réagir de manière imprévisible. C’est pourquoi le suivi n’est pas lié à la dose, mais à la durée du traitement et au profil du patient. Il n’existe pas de « dose sans risque » - seulement des risques plus ou moins contrôlés.