Vous avez peut-être déjà vécu cette situation : vous allez chercher votre médicament générique à la pharmacie, vous pensez que votre assurance va tout couvrir, et vous êtes facturé 45 € pour un traitement qui coûte 4 € en cash. Ce n’est pas une erreur. C’est le système.
Qui décide du prix de vos médicaments génériques ?
Derrière chaque ordonnance de générique, il y a une négociation invisible. Ce n’est pas votre médecin, ni votre pharmacien, ni même votre assurance qui fixe directement le prix. C’est un tiers : le Pharmacy Benefit Manager (PBM), ou gestionnaire de prestations pharmaceutiques. En France, ce modèle n’existe pas - mais aux États-Unis, trois entreprises contrôlent 80 % du marché : OptumRx, CVS Caremark et Express Scripts. Elles agissent comme des intermédiaires entre les assureurs et les pharmacies. Leur rôle ? Négocier les prix des médicaments pour les plans de santé. En théorie, elles font des économies. En pratique, elles créent des systèmes complexes où personne ne comprend vraiment ce qu’il paie.
Comment fonctionne la tarification des génériques ?
Les PBMs établissent des listes de prix maximum autorisés, appelées Maximum Allowable Cost (MAC). Ce sont des seuils de remboursement pour chaque générique. Mais ces prix ne sont pas publics. Ils changent sans avertissement. Et ils ne reflètent pas le coût réel d’achat du médicament.
Le vrai mécanisme repose sur deux éléments clés : le NADAC (National Average Drug Acquisition Cost), qui est le prix moyen que les pharmacies paient aux fabricants, et un dispensing fee, une commission fixe pour la préparation de la commande. Mais là où ça se complique, c’est le spread pricing : le PBM facture l’assureur un prix plus élevé que ce qu’il paie à la pharmacie. La différence ? Du profit caché. En 2024, les PBMs ont généré 15,2 milliards de dollars de revenus cachés, principalement grâce aux génériques. Soit 68 % de leurs profits.
Et vous, le patient, vous payez une franchise (copay) basée sur ce prix facturé à l’assureur - pas sur le vrai coût. Résultat : vous payez plus que si vous aviez acheté le médicament en cash. Une enquête de Consumer Reports en 2024 a montré que 42 % des assurés ont déjà payé plus pour un générique avec leur assurance que s’ils l’avaient acheté en direct.
Pourquoi les pharmacies ne peuvent-elles pas vous dire la vérité ?
En 2024, 92 % des contrats entre PBMs et pharmacies contiennent une clause dite « gag » - interdisant au pharmacien de vous dire que le même médicament coûte moins cher en cash. C’est légal. C’est courant. Et c’est profondément trompeur.
Imaginez : vous êtes à la caisse, le pharmacien voit que le prix cash est de 7 €, mais votre franchise est de 35 €. Il ne peut pas vous dire : « Attendez, payez en cash, vous économisez 28 €. » Il risque de perdre son contrat avec le PBM. Des centaines de pharmacies indépendantes ont fermé entre 2018 et 2023, non pas à cause du manque de clients, mais parce que les remboursements étaient devenus trop bas, voire négatifs après des « clawbacks » : des remises rétroactives imposées par les PBMs après le paiement.
Les conséquences pour les patients et les pharmaciens
Les patients vivent cette situation comme une forme de fraude. Sur Reddit, des milliers de témoignages décrivent des cas où des traitements pour le diabète, l’hypertension ou la maladie de Parkinson coûtent 10 fois plus avec l’assurance qu’en cash. Un patient a écrit : « J’ai payé 45 € pour du metformin. Le cash ? 4 €. J’ai demandé pourquoi. On m’a répondu : “C’est comme ça dans le système.” »
Pour les pharmaciens, c’est un cauchemar administratif. Ils doivent gérer deux systèmes de prix : un pour l’assurance, un pour le cash. Ils doivent apprendre les règles changeantes de chaque PBM. Certains passent 200 à 300 heures par an à décrypter les contrats. L’installation d’un logiciel de facturation adapté coûte en moyenne 12 500 €. Et si le PBM change son MAC sans prévenir ? Le pharmacien perd de l’argent sur chaque ordonnance.
Qui gagne ? Qui perd ?
Les fabricants de génériques ne gagnent pas beaucoup. Leur marge est mince. Mais ils sont obligés de verser des « rebates » (remises) aux PBMs en échange d’une place sur les listes de médicaments couverts (formularies). Plus le prix listé est élevé, plus les rebates sont gros. C’est un cercle vicieux : plus le prix de base est haut, plus les PBMs gagnent. Et plus les patients paient cher.
Les assureurs pensent qu’ils économisent en négociant des prix bas. Mais en réalité, ils déplacent les coûts : leurs assurés paient plus en franchise, et les primes n’augmentent pas - ce qui semble bon, mais cache une facture plus lourde à la caisse.
Les PBMs, eux, gagnent des milliards. Et ils sont devenus des géants verticaux. UnitedHealth a racheté Change Healthcare en mars 2024. Désormais, un seul groupe contrôle 45 % des transactions pharmaceutiques aux États-Unis. C’est une concentration de pouvoir sans précédent.
Est-ce que ça va changer ?
Oui. Lentement. Et avec résistance.
Depuis 2020, la loi No Surprises Act a commencé à limiter certaines pratiques. En 2024, 42 États ont adopté ou envisagent des lois exigeant la transparence sur les spread pricing et les MAC. En septembre 2024, le président Biden a signé un décret interdisant le spread pricing dans les programmes fédéraux, à compter de janvier 2026.
Le programme de négociation des prix des médicaments par Medicare, lancé avec la loi Inflation Reduction Act, pourrait avoir un effet d’entraînement. Si Medicare négocie un prix bas pour un générique, les PBMs pourraient être contraints de suivre - surtout si les assureurs privés veulent rester compétitifs.
Le Sénat étudie actuellement la Pharmacy Benefit Manager Transparency Act de 2025, qui obligerait les PBMs à reverser 100 % des rebates aux assureurs. Si elle passe, les profits cachés s’effondreront. Les analystes de McKinsey prévoient une réduction de 25 % des revenus de spread pricing d’ici 2027.
Mais les fabricants de médicaments ne sont pas inquiets. Ils disent que ces réformes ne toucheront pas leur modèle. Et ils ont raison : si les PBMs ne peuvent plus faire de profits cachés, les laboratoires pourraient simplement augmenter les prix listés. Le jeu change, mais les règles restent les mêmes : tout est basé sur l’opacité.
Que pouvez-vous faire ?
Vous n’avez pas de pouvoir sur les contrats entre PBMs et assureurs. Mais vous avez un pouvoir simple : chercher le prix cash.
Avant de payer votre franchise, demandez à votre pharmacien : « Quel est le prix en cash ? » Si vous êtes sur un plan d’assurance avec franchise fixe, il est très probable que le cash soit moins cher - surtout pour les génériques. Des applications comme GoodRx ou SingleCare affichent les prix réels des pharmacies locales. Elles ne sont pas parfaites, mais elles vous donnent une arme contre le système.
Si vous êtes employé, demandez à votre RH : « Notre plan d’assurance utilise-t-il un PBM ? » Si oui, demandez s’il y a une option de tarification transparente. Moins de 12 % des plans offrent ce modèle, mais ils existent. Et ils sont plus justes.
Enfin, parlez-en. Partagez votre expérience. Les témoignages de patients ont fait bouger les lois. Les enquêtes du Wall Street Journal et de Consumer Reports ont déclenché des enquêtes fédérales. Ce système ne fonctionne pas pour vous. Il ne doit pas rester secret.
Pourquoi mon assurance me facture plus cher qu’un prix cash pour un générique ?
Parce que votre assurance travaille avec un Pharmacy Benefit Manager (PBM) qui facture à votre plan un prix plus élevé que ce qu’il paie à la pharmacie. La différence, appelée « spread pricing », est un profit caché. Votre franchise est calculée sur ce prix gonflé, pas sur le vrai coût du médicament. Donc même avec votre assurance, vous payez plus que si vous achetiez en cash.
Les PBMs existent-ils en France ?
Non. En France, les prix des médicaments sont fixés par l’État, et les remboursements sont transparents. Les pharmacies sont payées selon un tarif officiel, et il n’existe pas d’intermédiaire privé négociant des prix cachés. Ce système américain, basé sur des contrats opaques et des profits secrets, n’a pas d’équivalent en France.
Qu’est-ce qu’un « clawback » en pharmacie ?
Un « clawback » est une retenue rétroactive imposée par un PBM à une pharmacie après qu’elle a déjà été remboursée. Par exemple, si le PBM change son prix maximum autorisé (MAC) après que vous avez payé votre franchise, il peut réduire le remboursement à la pharmacie - et parfois, la pharmacie doit vous rembourser, ou perdre de l’argent. Cela arrive à 63 % des pharmacies indépendantes aux États-Unis.
Pourquoi les pharmaciens ne peuvent-ils pas me dire que je peux payer moins en cash ?
Parce que les contrats entre les PBMs et les pharmacies contiennent souvent une clause « gag » - interdisant aux pharmaciens de révéler les prix cash aux patients. C’est légal aux États-Unis. Le but est de forcer les patients à passer par le système d’assurance, même quand c’est plus cher. Cette pratique est en train d’être interdite dans plusieurs États, mais elle est encore très répandue.
Comment puis-je éviter de payer trop pour un générique ?
Avant de payer votre franchise, demandez toujours le prix cash à la pharmacie. Utilisez des applications comme GoodRx ou SingleCare pour comparer les prix locaux. Si le cash est moins cher, payez en cash - même si vous avez une assurance. Votre assurance ne vous remboursera pas, mais vous économiserez. Et si vous êtes employé, demandez à votre employeur s’il propose un plan avec tarification transparente - même si c’est rare, c’est possible.
Le système de tarification des génériques aux États-Unis est un exemple de ce que l’opacité peut faire à la santé publique. Ce n’est pas une question de qualité médicale. C’est une question de pouvoir. Et tant que les patients ne savent pas ce qu’ils paient, personne ne pourra vraiment le changer.