Les corticoïdes oraux ont longtemps été le recours incontournable pour calmer les poussées d’asthme sévère. Mais pour beaucoup de patients, ces médicaments, bien qu’efficaces, sont une nécessité douloureuse. Ils sauvent la vie pendant une crise, mais ils usent le corps sur le long terme. Des gains de poids, des diabètes, des os qui se fragilisent, des troubles de l’humeur, des infections récurrentes… les effets secondaires ne se limitent pas à quelques inconforts. Ils transforment la gestion de l’asthme en un combat quotidien contre les dommages causés par le traitement lui-même.
La réalité du fardeau des corticoïdes oraux
Près de 93 % des patients atteints d’asthme sévère développent au moins une complication liée aux corticoïdes oraux, selon une étude publiée en 2025 dans Frontiers in Allergy. Ces complications apparaissent même après de courtes durées : moins de 30 jours d’utilisation peuvent suffire à déclencher une prise de poids, une élévation de la pression artérielle ou une résistance à l’insuline. Et quand l’usage devient chronique - défini comme une prise quotidienne pendant au moins six mois - les risques s’accumulent. La mortalité augmente, les hospitalisations se multiplient, et les coûts pour le système de santé deviennent insoutenables.
En Italie, les complications liées aux corticoïdes oraux coûtent en moyenne 1 960 euros par patient et par an. Pour les patients sans asthme, ce chiffre est presque deux fois plus faible. Ce n’est pas le prix du médicament qui pose problème : un comprimé de prednisone coûte quelques centimes. C’est le prix des conséquences : les visites médicales, les examens pour détecter l’ostéoporose, les traitements du diabète, les soins pour les infections pulmonaires récurrentes. Ce sont les coûts cachés - ceux que personne ne voit venir.
La révolution des biologiques
Depuis quelques années, une nouvelle génération de traitements a fait son apparition : les biologiques. Ce sont des médicaments ciblés, administrés par injection, qui agissent sur les mécanismes spécifiques de l’inflammation dans l’asthme. Ils ne sont pas une solution pour tout le monde, mais ils changent la vie pour les patients dont l’asthme est piloté par une inflammation de type 2 - un sous-groupe qui représente entre 50 % et 70 % des cas d’asthme sévère.
Il existe six biologiques approuvés en France et en Europe : omalizumab, mepolizumab, reslizumab, benralizumab, dupilumab et tezepelumab. Chacun cible une molécule différente dans la chaîne inflammatoire. Mais leur effet commun est remarquable : ils réduisent drastiquement la dépendance aux corticoïdes oraux.
Une étude italienne sur 106 patients a montré que, après un an de traitement par mepolizumab, le pourcentage de patients dépendants aux corticoïdes oraux est passé de 79,2 % à 31,1 %. La dose moyenne journalière de corticoïdes a chuté de 4,7 mg. Les poussées ont diminué de plus de 80 %, et les hospitalisations sont passées de 0,4 par an à 0,06. Autrement dit, presque personne n’a été admis à l’hôpital pour cause d’asthme pendant une année entière.
Dupilumab a donné des résultats similaires. Une revue de l’American Academy of Family Physicians en 2021 a confirmé que ce médicament permet non seulement de réduire les corticoïdes oraux, mais aussi de diminuer le nombre de crises graves. Pour beaucoup de patients, c’est la première fois qu’ils peuvent dormir sans craindre une crise nocturne, ou aller travailler sans se demander si leur inhalateur suffira.
Comment les biologiques réduisent les coûts à long terme
Les biologiques sont chers : une injection peut coûter plusieurs milliers d’euros par an. C’est un obstacle majeur. Mais ce n’est pas le bon cadre pour juger leur valeur. Il faut regarder ce qu’ils évitent.
Un patient qui prend des corticoïdes oraux quotidiennement pendant cinq ans va probablement développer des complications. Chaque fracture de la hanche, chaque hospitalisation pour infection pulmonaire, chaque consultation pour diabète ou hypertension, chaque prise de médicaments pour traiter ces effets secondaires - tout cela coûte bien plus qu’un biologique.
Les études économiques montrent que, sur cinq ans, les coûts totaux de soins sont plus faibles pour les patients qui passent aux biologiques. Pourquoi ? Parce qu’on arrête de payer pour les dégâts. On arrête de payer pour les hospitalisations. On arrête de payer pour les soins de longue durée. Le biologique n’est pas un coût : c’est un investissement dans la santé durable.
Les autres alternatives : où en est-on ?
Les biologiques ne sont pas les seules options, mais les autres ont un impact limité.
La thermoplastie bronchique, une procédure qui utilise des ondes radio pour réduire la masse musculaire dans les voies respiratoires, peut aider certains patients. Mais elle augmente temporairement les symptômes pendant six semaines après le traitement. Elle est réservée aux cas très sévères, qui n’ont répondu à aucun autre traitement. Ce n’est pas une solution de première ligne.
Et qu’en est-il de la vitamine D ? On a longtemps cru qu’elle pouvait protéger contre les poussées. Mais plusieurs études, dont une publiée en 2021 dans la revue de l’AAFP, ont montré qu’ajouter de la vitamine D3 à un traitement standard n’a aucun effet sur la fréquence des crises ni sur la gravité des symptômes, même chez les patients déficients en vitamine D.
Il n’existe pas de supplément naturel, de régime alimentaire ou d’exercice qui puisse remplacer les corticoïdes oraux chez un patient avec un asthme sévère mal contrôlé. Les seules alternatives validées par la science sont les biologiques.
Les obstacles à l’accès : pourquoi tout le monde n’y a pas droit
Malgré leur efficacité, les biologiques ne sont pas accessibles à tous. Les raisons ? Le coût, bien sûr. Mais aussi la complexité du diagnostic.
Pour prescrire un biologique, il faut d’abord confirmer qu’il s’agit d’un asthme de type 2. Cela implique des tests sanguins pour mesurer les eosinophiles, ou des analyses de l’expiré pour détecter le NO (monoxyde d’azote). Ces tests ne sont pas toujours disponibles dans les cabinets de ville. Et même quand ils le sont, les médecins généralistes ne sont pas toujours formés à les interpréter.
De plus, les patients avec une assurance publique (comme la Sécurité sociale en France) ne bénéficient pas toujours des mêmes conditions que ceux avec une assurance privée. Même si les fabricants d’inhalateurs ont récemment limité les frais à 35 euros par mois, cette mesure ne couvre pas les biologiques. Et elle ne concerne pas les patients sans assurance du tout.
Le problème n’est pas seulement technique. C’est culturel. Beaucoup de médecins continuent à voir les corticoïdes oraux comme une solution rapide, facile, et familière. Ils hésitent à changer leur routine, même quand les données montrent que c’est la meilleure voie pour le patient.
Comment arrêter les corticoïdes en toute sécurité
Arrêter les corticoïdes oraux ne se fait pas du jour au lendemain. Une réduction trop rapide peut provoquer une insuffisance surrénale, une crise d’asthme grave, ou même un choc.
Le processus doit être lent, supervisé, et personnalisé. La plupart des patients réduisent leur dose de 1 à 2 mg toutes les 4 à 8 semaines. Pendant cette période, les médecins surveillent de près : les symptômes respiratoires, les taux d’éosinophiles, la fonction pulmonaire. Si les signes d’asthme réapparaissent, la réduction est ralentie ou arrêtée.
Les patients qui réussissent ce processus décrivent souvent une transformation : ils retrouvent leur énergie, leur poids revient à la normale, ils n’ont plus peur de la nuit. Ce n’est pas juste une amélioration médicale. C’est une libération.
Le futur : vers une médecine sans corticoïdes oraux
Les lignes directrices internationales, comme celles de GINA, ont changé. Elles recommandent désormais d’ajouter un biologique avant d’opter pour une thérapie de maintien par corticoïdes oraux. C’est une révolution. L’asthme sévère n’est plus une maladie qu’on gère avec des corticoïdes. Il est une maladie qu’on traite avec précision.
De nouveaux biologiques sont en développement. Des essais cliniques testent des molécules qui pourraient cibler d’autres voies inflammatoires. Des outils de diagnostic plus simples sont en cours de création - des tests sanguins rapides, des capteurs portables pour mesurer l’inflammation en temps réel.
Le but n’est pas de supprimer les corticoïdes oraux pour toujours. C’est de les rendre exceptionnels. Quand un patient en a besoin, c’est pour une crise aiguë, pas pour survivre au quotidien. C’est ce que signifie vraiment réduire le fardeau.
Les corticoïdes oraux sont-ils toujours nécessaires pour l’asthme sévère ?
Non, ils ne sont plus considérés comme une option de première ligne pour le traitement de maintien. Les lignes directrices internationales (GINA) recommandent désormais d’essayer les biologiques avant d’engager un traitement chronique par corticoïdes oraux. Ils restent utiles pour les poussées aiguës, mais leur usage quotidien doit être évité autant que possible.
Quels sont les signes que je dépende trop des corticoïdes oraux ?
Si vous prenez des comprimés de prednisone plus de deux fois par an, ou si vous devez les prendre pendant plus de trois mois d’affilée, vous êtes probablement dépendant. D’autres signes : prise de poids rapide, fatigue persistante, sautes d’humeur, insomnie, ou apparition de diabète ou d’ostéoporose. Ces signes indiquent que votre asthme n’est pas bien contrôlé par vos traitements de base, et qu’il faut revoir votre stratégie.
Les biologiques sont-ils efficaces pour tous les types d’asthme ?
Non. Les biologiques ne fonctionnent que pour l’asthme de type 2, qui représente environ 50 à 70 % des cas sévères. Ce type d’asthme est caractérisé par une inflammation dirigée par des cellules appelées éosinophiles. Un simple test sanguin peut le détecter. Pour les autres types d’asthme (non-type 2), les options sont plus limitées, et les biologiques actuels ne sont pas indiqués.
Combien de temps faut-il pour voir les effets d’un biologique ?
Les effets ne sont pas immédiats. La plupart des patients commencent à ressentir une amélioration entre 3 et 6 mois après le début du traitement. La réduction des poussées et des corticoïdes oraux se fait progressivement. Il faut être patient et suivre les contrôles médicaux réguliers. Certains patients continuent à avoir besoin de corticoïdes pendant les premiers mois, mais la dose diminue ensuite de manière stable.
Puis-je arrêter les corticoïdes oraux tout seul si je commence un biologique ?
Absolument pas. Arrêter les corticoïdes oraux brutalement peut être dangereux. Une insuffisance surrénale peut survenir, ce qui est une urgence médicale. La réduction doit toujours être encadrée par un médecin, avec des contrôles réguliers de la fonction pulmonaire et des signes de rechute. Même si vous vous sentez mieux, ne modifiez pas votre traitement sans avis médical.
9 Commentaires
Dominique Dollarhide
novembre 10 2025
Je suis pas contre les biologiques mais bon… c’est juste un autre produit pharma qui pousse un discours de révolution pour vendre des injections à 8000€/an. Et puis, qui a dit que les éosinophiles étaient le vrai coupable ? Et si c’était juste l’environnement ? Les pesticides ? Les perturbateurs endocriniens ? On parle jamais de ça. Les biologiques, c’est du band-aid sur une plaie infectée.
Louise Shaw
novembre 11 2025
Encore un article qui fait croire que la science a tout résolu. Tant qu’on n’aura pas réglé le problème de l’accès, tout ça c’est du vent. J’ai un cousin qui a l’asthme sévère et qui n’a jamais eu accès à un test d’éosinophiles. Il prend des prednisone comme des bonbons. Et on lui dit de ‘se faire une raison’.
Emilia Bouquet
novembre 13 2025
Je veux dire… c’est pas juste une question de médicaments. C’est une question de dignité. Quand tu peux enfin sortir sans calculer chaque pas comme si tu étais en équilibre sur une corde raide… c’est pas une amélioration. C’est une renaissance. 💪✨ Et si on arrêtait de voir les biologiques comme un luxe et qu’on les considérait comme un droit ?
Moe Taleb
novembre 14 2025
Les données sont solides : la réduction des corticoïdes oraux avec les biologiques est bien documentée, surtout chez les patients à inflammation de type 2. Mais attention : il faut un diagnostic précis. Un taux d’éosinophiles >150/uL dans le sang, ou >3% dans les expectorations, est un bon indicateur. Sans ça, on risque de prescrire à tort. Et oui, les tests sont sous-utilisés dans les zones rurales. Il faut former les généralistes.
Sophie Worrow
novembre 15 2025
Je suis infirmière en pneumo depuis 12 ans. J’ai vu des patients redevenir humains après un an de dupilumab. Des gamins qui ne pouvaient plus jouer au foot, des mères qui ne pouvaient plus courir après leurs enfants… et puis, d’un coup, ils redeviennent vivants. Le vrai coût, c’est pas le prix de l’injection, c’est le prix de la vie qu’on sacrifie en attendant. On a besoin d’un système qui priorise la qualité de vie, pas les économies à court terme.
Gabrielle GUSSE
novembre 16 2025
Ok mais c’est quoi cette histoire de ‘type 2’ ? T’as vu le nom de ce truc ? ‘Mepolizumab’ ? Ça sonne comme un code de missile. Et pourquoi ils ont pas fait un médicament qui marche pour tout le monde ? Parce que c’est pas rentable. Les labos veulent des niches. Des patients segmentés. Des groupes cibles. Des prix élevés. C’est du capitalisme de la maladie. 🤡
Dominique Orchard
novembre 17 2025
Je comprends la frustration, mais arrêter les corticoïdes sans suivi, c’est comme arrêter la pompe à insuline d’un diabétique. Tu peux te sentir bien, mais ton corps est en mode survie. La clé, c’est la transition guidée. Pas la rupture. Un médecin qui t’accompagne, une équipe qui suit les marqueurs, et une patience de fer. C’est pas magique, mais c’est possible. Et tu mérites ça.
Bertrand Coulter
novembre 18 2025
Les biologiques c’est bien mais bon… j’ai lu une étude en 2023 où 23% des patients ont eu des réactions auto-immunes après 2 ans. On parle jamais de ça. Et si on réduisait les corticoïdes mais qu’on créait un autre problème ? La médecine moderne, c’est un peu comme un jeu de dominos… tu pousses un truc, et tout s’effondre ailleurs. Peut-être qu’on devrait arrêter de chercher à tout contrôler et apprendre à vivre avec…
Hélène Duchêne
novembre 8 2025
Ce que j’ai vécu avec les corticoïdes… j’ai pris 15 kg en 4 mois, j’avais l’impression de marcher avec un sac de sable dans le ventre. Quand j’ai commencé le mepolizumab, j’ai pleuré la première fois où j’ai dormi toute la nuit sans craindre de m’étouffer. 🥹 Merci pour ce texte, il met des mots sur ce qu’on vit en silence.